L'industrie alimentaire doit vendre, et les citoyens ne sont pas
naïfs au point de l'ignorer : ils se méfient. La publicité vient
matraquer des messages, mais la presse ajoute sa voix au dialogue, en
dénonçant des pratiques parfois contestables.
Ces temps-ci, les
services de marketing ont une nouvelle idée, celle du « clean label » :
dans les listes d'ingrédients effectivement employés pour la
fabrication des produits alimentaires, ils cherchent à éviter les
ingrédients que la réglementation a classés dans la liste des E : E pour
« européen ». Il s'agit de ce que l'on nomme les "additifs". Comme il
est interdit de ne pas signaler ces produits, certains industriels
cherchent à ne pas employer les ingrédients de cette liste.
Et,
comme on n'utilise pas ces ingrédients pour le plaisir, mais parce
qu'ils ont des fonctions (épaissir, comme le fait la farine dans une
sauce ; colorer comme le fait le safran dans une paëlla ; conserver,
comme le vinaigre dans les cornichons...), ces industriels cherchent à
remplacer les ingrédients en E par des ingrédients « naturels ».
Par
exemple, le Centre technique de la conservation des produits agricoles
(CTPCA) écrit que « la réduction des additifs est une attente des
consommateurs pour des produits plus naturels ». En conséquence, il
propose à ses adhérents de « substituer des additifs par des ingrédients
naturels à fonctionnalité spécifique », tels l’huile de romarin ou
l’extrait de céleri comme conservateurs, des anthocyanes des végétaux
comme colorants naturels, des extraits de thé vert comme antioxydants...
C'est pur mensonge ! L'huile de romarin, que l'on extrait du romarin
par une étape d'extraction, n'est pas plus naturelle que du dioxyde de
soufre, que l'on obtiendrait en brûlant du soufre ramassé sur les flans
d'un volcan, par exemple, et le sel, que l'on obtient dans des marais
salants ou dans des mines, n'est pas moins ni plus naturel. D'ailleurs,
comment mesurerait-on le degré de naturel ?
Et c'est ainsi que l'on
en vient à parler, très mensongèrement, de « clean label » ! Par
exemple, en février 2012, la revue P***s, qui donne une idée de
l'industrie alimentaire, avait un article dont le titre était : « Salon
CFIA : le plein de nouveautés clean label. »
Et c'est vrai que de
nombreuses industries cherchent à « faire naturel »... notamment afin de
communiquer sur ce thème ! Considérons, par exemple, les farines
« fonctionnelles » du groupe L***n obtenues par traitement des farines
de blé par la chaleur : certes, on obtient ainsi de bonnes capacités de
liaison et de texturation, mais on ne me fera pas croire que ces
farines sont « naturelles » ! D'ailleurs, le blé est une plante très
artificielle, qui a été obtenue après de longs siècles de sélection
(artificielle, donc). Et la farine a été obtenue après (1) culture ; (2)
récolte ; (3) mouture : naturelle ? Non, au moins trois fois non !
Dans la pratique, que l'on me comprenne bien, je n'ai rien contre ces
farines fonctionnelles, ou d'autres produits du même type, mais le
remplacement des additifs classiques (amidons chimiquement modifiés,
hydrocolloïdes) par ces farines n'est-il pas pure communication ?
Et
puis, méfions-nous des solutions « vertes » : je suis heureux de faire
état d'un appel à l'aide, hier, par une journaliste dont le plafond
puait, parce qu'il avait été peint avec une peinture « verte », à la
caséine : dans un endroit un peu humide, les micro-organismes qui se
trouvent dans les bonnes conditions de température faisaient pourrir la
peinture (je lui ai recommandé de poncer, de traiter à l'eau de Javel,
et de repeindre avec une bonne peinture de synthèse... inventée
précisément pour éviter ce genre de désagrément).
Des fibres de
peau d’orange comme rétenteur et stabilisateur d’eau ? Pourquoi pas.
Des fibres isolées du blé ou du lupin pour optimiser la texture de la
viande hachée et des saucisses ? Pourquoi pas, mais quel nom donner aux
produits ? Pardon, je me reprends : quel nom honnête ? Des protéines
laitières pour la charcuterie ? Pourquoi pas, mais est-ce encore de la
charcuterie ? Des fonds de sauce obtenus par cuisson, puis réduction de
matières premières « naturelles » (viandes, légumes, produits de la
mer) : pourquoi pas, si les conditions de conservation s'y prêtent.
Plus généralement, la tendance à plus de sécurité alimentaire ne peut
être critiquée : ce serait idiot de le faire. En revanche, il faut de
l'honnêteté, non ?
Ce qui pose problème, c'est que du « clean
label » au « greenwashing » (ou écoblanchiment) ou, pire, au
« naturewashing » (naturoblanchiment), il n’y a qu’un pas que certaines
entreprises n’hésitent pas à faire. Le greenwashing est un procédé
marketing que des entreprises utilisent pour se donner une image
(seulement une image : ne confondons pas avec la réalité) écologique et
responsable.
Toutefois l'objectif est toujours le même : « par ici
mes belles oranges pas chêres ! ». L’objectif est de promouvoir une
marque ou un produit en mettant en avant des pratiques écologiques qui
ne sont guère significatives. Il faut bien reconnnaître qu'il s'agit de
manipulation marketing, et de mascarade écologique. Le
« naturewashing », c’est la mise en œuvre de stratégies de communication
pour faire croire que les méthodes de fabrication sont
« traditionnelles » ou « naturelles ». C'est détourner le mot
« naturel » de sa signification.
Et, bien souvent, tout cela s'assortit de prix plus élevés : ne soyons pas naïfs !
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